Le Plan Hulot : Geste symbolique ou engagement du politique ?

Dans le contexte libéral européen où l’intervention de l’Etat dans l’économie est limitée, il est difficile de laisser une place au long terme, pourtant nécessaire à la transition énergétique. Heureusement, l’annonce du 1er Juin de Nicolas Hulot, Ministre de la Transition énergétique et solidaire, va dans ce sens avec le plan national de déploiement de l’hydrogène. Ce positionnement a été applaudi par la filière puisqu’il apporte un signal fort et un financement à hauteur de 100 millions d’euros dès 2019. Quels sont les objectifs de ce plan ? Quelles en sont les implications et les limites ? Décryptage des 14 mesures annoncées par le gouvernement.

L’hydrogène sera vert ou ne sera pas

Bien qu’ayant l’avantage de lutter contre la pollution de l’air, l’hydrogène doit aujourd’hui se verdir pour prétendre lutter aussi contre le changement climatique. En effet, plus de 90% de ce vecteur énergétique est aujourd’hui produit à partir d’énergie carbonée (vapocraquage du gaz principalement). Le plan hydrogène annonce donc un objectif de 10% d’hydrogène d’origine renouvelable pour 2023 et de 20% à 40% d’ici 2028 (mesure n°1). Il devient donc nécessaire de tracer ce gaz d’ici 2020 à l’aide de certificats d’origine (mesure n°2), ce qui n’est pas sans rappeler le projet européen Certifhy. Ces deux mesures ont surtout pour objectif d’encourager l’installation d’électrolyseurs à l’échelle industrielle pour la production d’hydrogène. Les gagnants français de cette initiative sont les fabricants de solutions de production d’hydrogène tel que Ergosup, Areva H2Gen ou McPhy. Ce dernier a d’ailleurs conclu un partenariat de 16 millions d’euros avec EDF (détenu à 83% par l’Etat) peu de temps après l’annonce du Plan.

La clé de voûte des énergies renouvelables

C’est parce que les énergies renouvelables sont variables qu’il convient de les stocker pour garantir l’équilibre production/demande. Ce concept de Power-to-gas fait intervenir les acteurs du réseau électrique (stabilisation du réseau électrique) et du réseau de gaz (injection d’hydrogène dans le réseau de gaz). Ainsi, le gouvernement s’engage à solliciter ces acteurs (GRDF, Enedis, RTE, etc.) pour identifier des modèles d’affaires rentables (mesures n°5 et n°7). Il est déjà clair que ce concept aura du succès sur les territoires ne bénéficient pas d’un réseau électrique robuste comme les sites isolés et les systèmes insulaires (mesures n°4 et n°6). Le français HDF (Hydrogène De France) l’a bien compris et s’est déjà positionné sur ce marché avec un projet en Guyane de centrale solaire avec stockage sous forme d’hydrogène.

Stimuler la demande

Le gouvernement, par l’intermédiaire de l’ADEME, souhaite accompagner les territoires dans le déploiement de flottes professionnelles de véhicules hydrogène (mesure n°10). Toujours à l’horizon 2023, avec un objectif de 100 stations hydrogène, ce dernier compte sur 5 000 véhicules utilitaires légers (VUL) sur les routes et 200 véhicules lourds (bus, camions, TER, bateaux). Cette projection va jusqu’en 2028, avec 20 000 à 50 000 VUL, 800 à 2 000 véhicules lourds, le tout porté par 400 à 1 000 stations (mesure n°8). Bien que ces annonces soient les bienvenues, les territoires et acteurs privés n’ont pas attendu pour se lancer dans l’aventure. En effet, dès 2014 le pôle de compétitivité Tenerrdis a porté le projet HyWay, déployant ainsi 50 véhicules en Rhône-Alpes. La nouvelle région Auvergne Rhône-Alpes a emboité le pas en 2017 avec le projet Zéro Emission Valley en visant la mise en place de 20 stations et de 1 000 véhicules sur son territoire. La force de l’annonce du 1er Juin réside surtout dans la visibilité qu’elle donne à des équipementiers automobiles tel que Symbio pour diriger ses investissements et convaincre ses fournisseurs.

Une carte française à jouer : les fortes puissances

Du fait de sa forte densité énergétique, l’hydrogène est souvent identifié comme la technologie des fortes puissances. Laissant à terme le marché du véhicule individuel et VUL à la batterie, l’hydrogène se concentrerait plutôt sur les véhicules lourds (bus et camion), le ferroviaire, le maritime et l’aéronautique. Dans cette logique, Nicolas Hulot souhaite accompagner le développement de ces applications (mesure n°9) et plus particulièrement le ferroviaire dans un contexte plus global de verdissement du parc (mesure n°11). Ces mesures seraient évidement l’occasion de mettre en avant des champions nationaux tel qu’Alstom, STX, Renault ou Airbus. De son côté, le français Symbio n’a pas attendu ce plan pour annoncer son module forte puissance de 40kW pile à combustible.

Lever les freins de la réglementation

Au-delà des aides financières qu’il peut apporter via l’ADEME (mesure n°12), l’Etat est responsable d’adapter la réglementation aux nouveaux usages. Dans le cadre du Plan, le ministre s’est donc engagé à clarifier la réglementation en vigueur en termes de sécurité et de risques (mesure n°13). Ce point fait en partie référence au flou, parfois contraignant, autour du concept de « Production industrielle » d’hydrogène pour les stations dans les démarches ICPE. Une mise en avant d’un hydrogène décarboné est aussi à l’ordre du jour pour les calculs de Bilans carbone® (mesure n°3). Enfin, il est prévu de créer un centre international de certification des composants hydrogène pour la mobilité (mesure n°14). En effet, les procédures en France sont longues et les démarches souvent plus rapides dans d’autres pays européens.

Vision long terme ou caprice politique ?

Il est indéniable que ce plan va dynamiser la filière hydrogène, cette dernière étant encore en phase d’amorçage. Cela dit, seuls quelques objectifs sont chiffrés, le reste pouvant être laissé à interprétation quant au niveau de concrétisation. De plus, il faut souligner que les acteurs de l’hydrogène n’ont pas attendu ce plan pour lancer leurs projets. Il est donc raisonnable de supposer que les poids lourds de la filière (Engie, Air Liquide, Areva, Michelin) sont, en partie, à l’origine de cette initiative politique. La question soulevée par cette remarque est la suivante : Le gouvernement s’est-il vraiment approprié le sujet, ou bien est-il enclin à faire marche arrière aux premières difficultés budgétaires comme ce fut le cas avec le solaire PV ? Quoiqu’il en soit, ce plan ne s’inscrira dans le long terme que s’il est accompagné de politiques contraignantes fortes sur la pollution de l’air et sur la lutte contre le réchauffement climatique.

Un printemps de l’hydrogène

Ces deux derniers mois ont été riches en annonces dans le secteur de l’hydrogène. Un résumé des événements marquants et de leur signification est donc de mise pour identifier quelques tendances intéressantes.

 

L’automobile : des volumes avec un « 0 » en plus

Engie Cofely a reçu ses 50 Kangoo ZE-H2 opérés autour de Rungis alors que Toyota vise la vente de 30 000 Mirai par an dont 10 000 au Japon et que les taxis HYPE s’équipent de 25 nouvelles Mirai. Des chiffres qui laissent croire à un changement d’échelle dans les volumes connus jusque-là en France et dans le monde. Du côté des constructeurs, Ford et Daimler stoppent leur coopération sur le développement de la pile à combustible (AFCC) mais la filiale Mercedes sort son camping-car H2. Cela signifie-t-il que Ford s’essouffle et ralenti dans la course à la mobilité hydrogène ? De son côté Ballard profite de cet arrêt pour récupérer les actifs stratégiques de ce groupement, et renouvelle sa collaboration avec Audi. A l’inverse de Ford et Daimler, deux partenariats voient le jour entre Audi et Hyundai pour leur technologie de pile à combustible et entre Liebherr Aerospace et General Motors. Ce dernier partenariat est particulièrement intéressant car il démontre la transversalité de la technologie, applicable à l’aéronautique comme à l’automobile.

Bus et Poids lourds : Les modèles sortent des garages

Laissons les véhicules légers pour s’intéresser aux plus fortes puissances, créneau qui me semble tout destiné à la technologie du gaz (je ne précise pas H2 ou GNV…). Le constructeur Polonais Solaris annonce un bus H2 pour 2019, Ballard lance la commercialisation de son bus H2 El Dorado National aux Etats-Unis et Daimler laisse entendre qu’une version H2 de son bus électrique sera disponible sans préciser de date. Un peu moins concret mais tout aussi intéressant l’Americain US Hybrid Corp. et le Chinois BYD Co. (Chine)  collaborent pour développer un bus H2 et Air Liquide passe un accord avec la start-up Chinoise STNE afin d’accélérer le développement de flottes de camions H2 en Chine. Côté carnets de commandes, alors que l’Europe avance fièrement les 62 bus commandés à travers les projets JIVE et JIVE 2, la ville de Wuhan en Chine démarre la construction d’une station hydrogène afin d’alimenter 100 bus à hydrogène d’ici la fin de l’année. Deux autres initiatives Chinoises sont aussi à signaler avec le déploiement de 10 bus H2 à Chengdu et de 12 camions légers à Shangaï. La palme revient tout de même à Nikola qui commande 448 électrolyseurs et stations (1 GW au total) à Nel pour développer le maillage des stations H2 aux Etats-Unis. Cela fait suite à la commande de 800 semi-remorques hydrogène commandés à Nikola par l’américain Anheuser-Busch. Moins ambitieux mais certainement plus rentable, l’aéroport de Liège se convertit à l’H2 avec le projet HaYrport.

Le naval fait surface mais reste en démonstration

Le secteur naval est encore au régime sec des démonstrateurs H2 mais cela n’empêche pas les acteurs de placer leurs pions. En effet, le groupement HYON AS (PowerCell, Hexagon et Nel) a fait un nouveau pas vers la certification de sa pile maritime alors qu’ABB et Ballard annoncent une collaboration pour développer un système pile de forte puissance pour ces mêmes applications maritimes (3MW). Pour voir des bateaux sortir des chantiers il faudra à priori se tourner vers le chantier naval Ferguson (U.K.) qui se positionne sur l’H2 et annonce un premier ferry pour 2021. Les Etats-unis rentrent dans la course avec une étude pour leur bateau Golden Gate Zero Emission Marine réalisé par Bay Ship and Yacht Co. mais surtout avec un financement de $5,3 million de la part du California Air Resources Board (CARB) à destination du port de Long Beach pour développer l’écosystème H2 du site.

 

Le ferroviaire reste polarisé sur un projet

Le Coradia iLint reste l’objet de toute les attentions dans le ferroviaire avec une récente homologation lui permettant de circuler sur les rails. Cependant, d’autres acteurs se mobilisent tel que JSW et PKP Cargo. Ces derniers signent un partenariat sur le développement de trains H2.

Des fournisseurs optimistes

Le pouls des fournisseurs est intéressant car ces derniers montrent des signes avant-coureurs de croissance forte. On pourra noter en effet qu’Haskel, fabricant de compresseur d’H2, se développe et ouvre un nouveau centre d’essais, que Xebec reçoit une commande chinoise de $3,4 millions pour son purificateur d’hydrogène ou encore que Tanaka (Japon), fournisseur de catalyseur pour pile à combustible, investit dans une unité de production 7 fois supérieure à l’actuelle. En se rapprochant de l’épicentre on pourra noter que Ceres Power, pile à membrane solide, réalise une levée de fond de 20 millions de Livres et que la plus grande usine de fabrication de pile à combustible au monde verra le jour en Corée du Sud. Du côté des Etats-unis, FuelCell Energy est confiant dans l’avenir et annonce la création de 100 nouveaux emplois pour la production de ses piles à combustible.

Le Power-to-gas s’industrialise

Dans le stationnaire, les projets sortent peu à peu et les industriels se positionnent. Ainsi Siemens lance un démonstrateur de production d’ammoniac vert à base d’H2 renouvelable, Hydrogenics et Enbridge lancent en Ontario la mise en opération d’une centrale de stabilisation du réseau électrique par l’H2,  Preem et Vattenfall vont installer une usine de production d’H2 vert en Suède et l’Allemand Thyssenkrupp se positionne sur l’électrolyse de masse. TechnipFMC remporte quant à lui un contrat pour une unité de production d’H2 en Inde. Bien que destiné à une raffinerie, on peut imager cet industriel se positionner prochainement sur le stockage H2 des champs solaire Indien. En France, l’intérêt est marqué avec l’acquisition de 22% du capital de McPhy par EDF. Dans le même temps le Français HDF Energy décroche en Guyane un projet de stockage d’une centrale solaire de 55 MW et le projet GRHYD est inauguré à Dunkerque.

Une volonté politique croissante

L’évènement marquant de ces deux derniers mois, est sans doute l’annonce du Plan français de déploiement de l’hydrogène par Nicolas Hulot. Le plan été présenté le 1er Juin par le ministre de la Transition écologique et solidaire avec au programme, €100 millions et 14 mesures. La semaine suivante, la Corée du Sud a mis les bouchées doubles en investissant €2 milliards dans son développement national de l’hydrogène. Ces deux évènements permettent d’identifier deux stratégies : l’une où la France mise sur le volontarisme de sa filière en se reposant sur le marché et l’autre où le gouvernement Coréen joue une carte stratégique visant une place internationale et des exportations.

Karel HUBERT
Consultant hydrogène
EnerKa